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Fracture – Eliza GRISWOLD / RL sept 2020

Stacey rêve. Cette petite ferme de 3 hectares où vit sa famille depuis 150 ans, elle aimerait pouvoir la transmettre en bon état à ses deux enfants, avec toute la ménagerie, âne, chèvres, cochons, poules et lapins. Pour réparer la grange branlante, son salaire d’infirmière divorcée ne suffit pas.

Stacey espère. De nombreux habitants de la région dévastée des Appalaches se sont récemment enrichis en louant leurs terres aux entreprises d’extraction de gaz de schiste. Après avoir fourni en abondance du pétrole et du charbon pour les aciéries, leur sous-sol n’a pas dit son dernier mot.

Stacey relève la tête. Comme beaucoup d’Américains, elle en a marre de voir des jeunes partir faire la guerre en Irak pour le pétrole. Et si l’indépendance énergétique de la patrie était pour demain ?

Stacey signe, le 30 décembre 2008, un bail avec Range Resources, l’entreprise leader de fracture hydraulique.

Deux ans et demi plus tard, son fils de 15 ans pèse 57 kilos pour 1,85 m. On lui diagnostique un empoisonnement à l’arsenic.

Stacey rencontre Eliza Griswold venue assister à une réunion d’agriculteurs inquiets. Il faudra sept ans d’enquête patiente, acharnée et scrupuleuse à la journaliste pour poser toutes ses questions et établir non pas une, mais des vérités qui dérangent.

Une enquête racontée comme un roman ayant pour personnages principaux la famille Haney (Stacey, son fils Hatley et sa fille Paige).

J’ai aimé Stacey, mère célibataire qui se bat chaque jour pour joindre les deux bouts entre son travail à l’hôpital, son fils malade, et ses animaux qui meurent les uns après les autres.

Pas facile de quitter sa maison, même si celle-ci est empoisonnée, pour aller vivre dans une caravane dont les parois gèlent en hiver.

J’ai aimé Kendra Smith, l’avocate des plaignants, qui ne lâche jamais l’affaire, aidé de son mari, quitte à mettre leur cabinet en danger.

Je n’ai pas compris Beth Voynes, la voisine la plus proche du site, qui, malgré ses éruptions cutanées et sa difficulté grandissante à respirer ne part pas. Même son médecin lui conseille de se tenir éloigner le plus possible de sa maison dans la journée.

Bien sûr, il est question dans cet ouvrage des ravages de l’exploitation du gaz de schiste : la pollution de l’eau potable (les habitants sont obligés de faire venir des buffles d’eau potable devant leur maison), la pollution de l’air, les maladies entraînés par l’utilisation de substances chimiques hautement nocives.

L’auteure démontre, faits et preuves à l’appui, que l’agence gouvernementale chargée de suivre le bon déroulé de l’exploitation est de mèche avec la compagnie Range ; que les résultats des analyses sont modifiés par la compagnie Range.

Compagnie Range qui n’hésite pas, chaque année, à se rendre à la foire et acheter les meilleurs bêtes des fermiers alentours. Belle opération de communication.

Bien sûr, il y a les incontournables passages sur les joutes judiciaires, mais que j’ai facilement lu en diagonale.

L’auteure montre, si on en doutait encore, que l’argent est roi, car même la lettre de Stacey à Obama l’alertant sur les périls que courent sa famille ne suscite aucune réponse.

L’image que je retiendrai :

Celle des buffles d’eau potables devant les maisons. Stacey avait connu la même chose étant enfant, et s’était jurée de toujours avoir de l’eau potable à disposition.

Lu grâce à ma librairie préférée.

Prix Pullizer non-fiction 2019

Globe, 23 septembre 2020, 320 pages

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