La fabrique des salauds – Chris KRAUS
Quel roman ! Quel pavé passionnant de bout en bout.
Quand j’ai emprunté ce roman à ma BM préféré sur les conseils de Eve-Yeshé (son coup de coeur ici), je ne me doutais pas de l’épaisseur du tome : 880 pages sur du papier presque bible.
J’entrais donc dans le livre un peu à reculons, prête à lire en avance rapide parfois, voire à l’abandonner. Et bien pas du tout : j’ai été happée dès les premières pages.
Pourtant, l’histoire n’est pas facile d’un point de vue humain : on suit Koja Solm né à Riga et devenu SS grâce à son frère avec ce que cela implique de barbarie.
Le récit se complique après la guerre lorsque l’auteur axe son propos sur les services secrets allemands (j’ai dû parfois avoir recours à Wikipedia pour vérifier : et tout est vrai).
Pour autant, le style est fluide et ne donne pas envie de lâcher ce roman.
Les personnages sont passionnants à plus d’un titre : Koja parce qu’il donne l’impression de ne décider de rien, son frère Hub qui va déchoir petit à petit. Seul le personnage de Ev ne m’a pas convaincu qui est juive mais se marie avec un allemand (en l’occurrence son frère adoptif), travaille à Auschwitz puis émigre en Israël. Son caractère fantasque ne m’a pas convaincu.
J’ai aimé Koja, le narrateur, peintre comme son père, qui fait entrer dans son récit l’art et la couleur au milieu de tous ces uniformes.
N’oublions pas le hippie à qui s’adresse Koja sur son lit d’hôpital et qui ne lit que des BD (Asterix, Tintin…)
Revenons-en au récit : j’ai donc découvert la guerre en Lettonie, certaines exactions commises et la façon de monter en grade dans la SS quand on fait preuve de bonne volonté.
Puis vient la défaite et le rapatriement en Allemagne, la difficile reconversion des anciens officiers. Mais ne vous en faites pas pour eux : l’esprit d’organisation et de corps qui a montré son efficacité en 39-45 leur garanti un avenir prospère.
J’ai donc découvert une autre organisation que celle du Vatican pour exfiltrer ces criminels ; une organisation qui avait le soutient de la CIA, et qui avait à sa tête Reinhard Gehlen (ancien de la Wehrmacht) directeur du BND, le service secret de RFA. Comble de l’ironie, il habite dans l’ancienne magnifique maison de Martin Bormann, conseillé de Hitler.
J’ai aimé que son organisation, surnommé l’Org soit comparé aux Orcs après une visite de Tolkien venu prendre le thé.
J’ai découvert qu’Israël avait acheté des armes à l’Allemagne après la guerre, et beaucoup.
Un roman historique foisonnant, donc, mais aussi psychologique : les hommes comme Koja ballotés et dépassés par les événements ont existé. Ils ont pris part aux massacres et aux tueries sans jamais y croire vraiment.
Un roman dans lequel beaucoup de personnages sont comparés à des nains (tic d’écriture qui a fini par me faire sourire).
Un roman sur la colère qui nous anime et nous meut, sur celle que n’a jamais exprimé l’Allemagne.
Un roman qui pose la question suivante : comment la société de RFA a-t-elle réussi à trouver le chemin de la démocratie en dépit de l’intégration des anciens nazis ? (p.882) Car l’auteur, très documenté, montre la continuité entre le personnel des services secrets du Troisième Reich et celui du BND jusque dans les années 1960.
L’image que je retiendrai :
Celle de la pomme rouge que les deux frères sont obligés de se partager pour faire la paix. Le fil conducteur du roman.
Belfond, 22 août 2019, 880 pages
23 commentaires
Eve-Yeshé
je suis contente qu’il t’ait plu… vraiment le 1er coup de cœur 2019 pour moi…
les échanges avec le hippie mettent une note un peu plus douce à l’histoire. et Koja ne peut qu’avoir la sympathie du lecteur. Ev par contre est spéciale,je suis d’accord…
Je suis tombée de haut en apprenant que certains politiques allemands que j’avais apprécié à l’époque était d’anciens Nazi…
Je savais que Kurt Waldheim en était un (Beate Karsfeld lui avait craché à la figure lors d’une conférence je crois)
Alex-Mot-a-Mots
Pleins de révélations sur les hommes politiques allemands d’après guerre, en effet. Quel roman. Merci pour ce conseil.
manou
Je l’ai noté depuis que Eve en a fait un coup de cœur sur son blog. Je ne l’ai pas encore cherché à la médiathèque mais je le lirai un jour c’est certain et je vois que vos avis convergent ! Merci pour cette présentation enthousiaste…
Alex-Mot-a-Mots
Il est très long, mais quel roman !
keisha
Très gros, je l’ai commencé, oui, on est happé, mais vais-je aimer cet univers? pas sûr, alors je vais le rendre à la bibli…
Alex-Mot-a-Mots
Non, surtout pas ! C’est vraiment un grand roman.
jostein59
Ce roman t’inspire, c’est un très bon livre bien équilibré entre fiction et réalité historique.
Alex-Mot-a-Mots
Exactement. Et en plus, il est passionnant.
aifelle
Les après-guerre ne sont guère plus reluisants que la guerre et en effet beaucoup de criminels sont recyclés et finissent leurs jours tranquilles. Je ne sais pas si j’ai envie de me plonger là-dedans, j’en ai déjà lu un certain nombre et j’en ressors assez écoeurée à chaque fois.
Alex-Mot-a-Mots
Dans ce cas, je te le déconseille, en effet.
Jerome
Un vrai coup de guerre pour ce gros pavé on dirait !
Alex-Mot-a-Mots
Exactement. Un excellent long roman.
Violette
ah quand on a droit à un long billet, ça ne trompe pas^^ Tentée, dommage que ma bibliothèque ne le connaisse pas…
Alex-Mot-a-Mots
Il n’est pas si vieux (2019), j’espère que ta BM l’achetera bientôt, car il est vraiment passionnant.
killing79
Celui-ci me tente vraiment! Tu m’as convaincu!
Alex-Mot-a-Mots
Un coup de coeur. J’espère qu’il te plaira autant qu’à moi.
mesechappeeslivresques
Très très envie de le lire mais sa taille me freine un peu quand même
Alex-Mot-a-Mots
La taille du pavé m’a fait reculer également. Mais je ne l’ai pas lâché.
Karine:)
Il a fait partie de mes lectures marquantes l’an dernier… quel roman, qui nous plonge dans l’histoire et dans les affres de l’âme humaine.
Alex-Mot-a-Mots
Il fera partie de mes lectures marquantes de cette année. Quel roman !
Collectif Polar : chronique de nuit
Un livre étonnant, passionnant, une fresque incroyable.
Alex-Mot-a-Mots
Exactement. Merci de votre visite.
Collectif Polar : chronique de nuit
Mais avec plaisir