Auteurs en L

Le lambeau – Philippe LANCON

C’est sur les conseils avisées d’une amie, après son coup de coeur de l’été, que je me décide à ouvrir ce livre dont le titre m’a parfois dérangé.

A l’instar des parents de Philippe (permettez que je vous appelle Philippe ?) qui n’ont jamais lu Charlie Hebdo, je n’ai pas souvenir d’avoir lu un quelconque article de Philippe.

Je savais à quoi m’attendre, mais, contrairement à Dante, je n’avais pas abandonné tout espoir en entrant dans ces pages.

Rapidement : Philippe est journaliste à Charlie Hebdo et se rend, ce mercredi 7 janvier à la réunion hebdomadaire. Malheureusement, deux terroristes s’y rendent aussi. Philippe est touché à la mâchoire et aux bras.

De ses cicatrices aux bras et aux mains, il ne dit pas grand chose, si ce n’est que régulièrement, les femmes de son entourage le masse.

En revanche, le récit de ses 3 mois de réparation de gueule-cassée constitue la matière principal du livre.

J’ai retrouvé cette sensation, après un choc, qui fait que l’on n’est ni dans ce monde ni vraiment ailleurs et qui nous fait chercher désespérément un objet dans le chaos comme si notre vie en dépendait. L’esprit humain réagit ainsi face à la catastrophe, pour se protéger. L’auteur parle de temps interrompu, qui peut durer des semaines et des mois.

L’auteur a su me rendre sensible le cocon qui se créée dans sa chambre d’hôpital qui devient un lieu à part, loin du tumulte du monde.

Un bel hommage rendu aux soignants, chirurgien comme aide-soignants, mais aussi policiers qui l’accompagnent chacun à leur façon, dans cette reconstruction qui ne dépend pas de lui.

J’ai tout de même été étonnée par le nombres de passage au bloc : tous les 5 jours avec anesthésie générale à chaque fois, moi qui mets une semaine à me remettre d’une telle anesthésie, avec nausées et j’en passe.

J’ai aimé les citations du Capitaine Haddock qui lui reviennent en mémoire, et qui côtoient celles de Kafka et de Proust.

J’ai aimé que le patient se serve littéralement de la littérature puis de l’art pour revenir dans la vie.

J’ai été en revanche déçue qu’il ne parle pas plus de son parcours avec sa psy, comme le laissait évoquer le début du roman.

De longues phrases qui m’ont maintenu sous le charme tout au long de ma lecture, créant à leur tour un cocon d’où il m’était difficile de m’extraire pour revenir à la vraie vie.

L’image que je retiendrai :

Celle des lieux chargés d’histoire dans lesquels séjourne Philippe : La Salpêtrière et bien sûr les Invalides.

Quelques citations (mais il y en aurait tellement….) :

Pascal : « Tout le malheur des hommes vient de ce qu’ils ne savent pas rester au repos dans une chambre. (p.133)

Celles de la Salpêtrière me rappelaient à quel point la salle de bain est le lieu de toutes les hontes et de quelques découvertes. (p.235)

J’ai senti de nouveau, mais avec une force inédite, qu’on mourait un nombre incalculable de fois dans une vie, des petites morts qui nous laissaient là, debout, pétrifiés, survivants (p.237)

Oui, c’est comme ça (p.269 et alii)

La maladie n’est pas une métaphore, elle est la vie même. (p.414)

Les chirurgiens pensent et disent certaines choses. Nous sommes là pour les surprendre. (p.496)

A propos de sa rencontre avec Houellebecq : il m’a regardé fixement et il a dit cette parole de Matthieu  : « Et ce sont les violents qui l’emportent. » (p.502)

Gallimard, 12 avril 2018, 512 pages

22 commentaires