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Le mage du Kremlin – Giuliano Da EMPOLI

Grand prix du Roman de l’Académie française 2022

Qui est celui que l’on surnomme Le mage du Kremlin ? Qui susurait à oreille du Tsar ?

Le narrateur le rencontre par hasard, après avoir cité Zamiatine dans un post sur un réseau social. Il écoutera toute une nuit le récit de Vadim Baranov, metteur en scène, puis producteur d’émission de télé-réalité avant de devenir l’éminence grise de Poutine.

J’ai aimé que l’auteur précise avant de commencer que son roman était inspiré de faits et de personnages réels à qui il a prêté une vie privée et des propos imaginaires. Il s’agit néanmoins d’une véritable histoire russe.

J’ai aimé la vision de Vadim sur la société russe et son fonctionnement, le choc de la fin de l’URSS, et le rapport si particulier à la patrie.

J’ai découvert que c’était Berezorvsky, un homme d’affaire et premier oligarque, qui était allé cherché Poutine à la FSB pour lui servir d’homme de paille. Mais il n’avait pas réellement vu l’homme sous le masque de l’espion, ce qui lui fut fatal.

L’auteur m’a fait voir une société et un Etat dominé par les passions et non par la raison.

J’ai trouvé les perspectives d’avenir de Vadim bien tristes, où l’homme imparfait sera supplanté par la machine pour surveiller son prochain (ceci-dit, cela est déjà le cas en Chine).

Un roman quelque peu politique qui explique les ressorts de la pensée russe excessive et sans logique.

Un éclairage passionnant sur les tragiques actualités.

Quelques citations :

Ils avaient grandi avec une patrie et se retrouvaient soudain dans un supermarché. (p.87)

Poutine est un tchékiste, Vadia : de la race la plus féroce, celle qui ne fume ni ne boit. Ce sont les pires parce qu’ils cultivent les vices les plus cachés. (p.131)

Le moteur primordial dont il faut tenir compte reste la colère. Vous, les Occidentaux bien-pensants, croyez qu’elle peut être absorbée. Que la croissance économique, le progrès de la technologie et, que sais-je, les livraisons à domicile et le tourisme de masse feront disparaitre la rage du peuple qui plonge ses origines même dans les racines de l’humanité. Ce n’est pas vrai : il y aura toujours des déçus, des frustrés, des perdants, à chaque époque et dans n’importe quel régime. Staline avait compris que la rage est une donnée structurelle. (…) C’est un des courant de fond qui régisse la société. (p.155-156)

deux choses que les Russes demandent à l’Etat : l’ordre à l’intérieur et la puissance à l’extérieur. (p.162)

Le risque que la troupe, au lieu de tirer sur la foule, se solidarise avec elle est l’éternelle menace qui pèse sur tout pouvoir. (p.270)

Mais Facebook est allé beaucoup plus loin. Les Californiens ont dépassé tous les rêves des vieux bureaucrates soviétiques. Il n’y a pas de limites à la surveillance qu’ils ont réussi à instaurer. (p.272)

L’image que je retiendrai :

Celle de la vieille bibliothèque dans laquelle discutent Vadim et le narrateur, avec un feu de cheminée et des fauteuils confortables, toutes choses qui auraient dû disparaitre avec les soviets.

Gallimard, 14 avril 2022, 288 pages

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